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DICTIONNAIRE FOUTRAQUE MONT CENIS

A la demande expresse de plusieurs admiratrices et admirateurs du Journal le Chat noir, j’ai décidé vaillamment et unilatéralement de reprendre la publication, avant leur réunion exclusive en volumes, reliés cuir et doré sur tranche, des chroniques de mon « Dictionnaire foutraque des rues de Paris » qui rappelleront de bons souvenirs aux lectrices et lecteurs de nos premiers numéros. De la grandeur, de la beauté, de la vaillance et de l’humour distillés avec soin ont toujours fait de cette chronique l’une des préférées de notre riche et fidèle lectorat. Je lui dédie le présent article avec une émotion teintée d’allégresse, espérant, dans l’accomplissement de cette mission, récolter tous ses suffrages.

Rue du Mont Cenis 48° 53′ 28″ N, 2° 20′ 38″ E

« – Tu vois petit gars, quand tu pisses tout en haut de la rue du Mont-Cenis, ça descend tout de suite vers les profondeurs… Et là tu te sens le roi de Paris, le mecton qu’est pas le frangin à pépère, l’autre cave à deux ronds. » Jules Morbaq, Pas de chance pour Mimile, éditions Balise noir, 1959.

La partie de la rue la plus intéressante se situe sur la butte Montmartre, la suite rejoignant la rue Belliard n’étant qu’un prolongement sans âme, mais ce n’est absolument pas la faute de Catherine H. qui réside dans cette dernière section. Laborieuse et volontaire, elle a d’ailleurs été couronnée rosière de Mont Cenis en 1973, distinction honorifique certes, mais dotée d’un joli prix : un séjour au Sanatorium du Mont Cenis tous frais payés, un filet garni et une bouteille de mousseux. Et ce n’est pas sans émotion qu’aujourd’hui Catherine, trois fois grand-mère, montre avec fierté à ses petits-enfants le bouchon de la bouteille, unique souvenir de ce couronnement.

Le machin en béton planté comme un piquet au milieu du square Claude Charpentier a été construit en 1927. Contrairement aux idées reçues, il ne s’agit pas d’un rbnb, ni du siège de la société secrète féministe des « Souris montmartroises », mais plus simplement d’un château d’eau dont le style néo-byzantin et la hauteur de 43 mètres forcent le respect. Tout ça permettant de boire un coup de flotte, de se laver le… et aussi de préparer tranquillou son pastis entre amis. Avec ses 900 m3 de contenance, ça fait une bonne marge pour l’apéro. De plus, maintenant, à la suite d’une convention, une dizaine de radios parisiennes peuvent émettre grâce aux antennes placées à son sommet. Et inutile de chercher l’ascenseur pour la visite, l’endroit est interdit au public, des fois qu’un petit malin fasse pipi dans le machin, histoire de rigoler.

N°22 : Berlioz. Entre 1834 et 1836, le compositeur a vécu ici, carrefour Saint-Vincent, en compagnie de son épouse Harriet Smithson. La spéculation immobilière a balayé la pittoresque maison d’où l’on découvrait un splendide panorama, à l’époque imprenable. […] Nous sommes dans une maison peu éloignée de Paris, mais dont les abords sont assez pénibles ; il faut pour y arriver gravir puis redescendre la montagne. La vue de la plaine Saint-Denis avec son tombeau des rois de France à l’horizon, les coteaux de Saint-Germain, Montmorency, etc., est vraiment magnifique. […] Notre jardin est fort grand ; le salon de notre appartement était jadis un pavillon bâti par Henri IV pour la charmante Gabrielle, c’est une antiquité intéressante que nous avons un peu restaurée à la moderne. Malgré la fatigue extrême que me causent mes allées et venues à Paris, nous garderons ce logement pour l’hiver. Outre le site et le bon marché, il offre un autre avantage en nous affranchissant de la servitude des visites ; les oisifs y regardent à deux fois avant de venir me relancer et me faire perdre mon temps. Par-ci par-là mes amis viennent passer une demi-journée à la maison ; dernièrement pour l’anniversaire de la naissance de Louis [son fils], nous avons eu une réunion brillante. L’élite de la jeune littérature contre-révolutionnaire, c’est-à-dire celle qui a secoué le joug de Victor Hugo, s’y trouvait. Nous avons joué aux barres dans le jardin comme de vrais écoliers. […] (Hector Berlioz, lettre à sa mère, 18 octobre 1835). Les minables ont gagné la partie, maintenant c’est moche et sans âme. Pire que cela, les voyous qui ont édifié l’immeuble ont collé dessus un bas-relief en souvenir de la maisonnette disparue. Ah les vaches ! N°45 : Marcel Laclanche, inventeur du cercueil réutilisable, est mort dans cette maison. Il a été inhumé, ultime malchance, dans un cercueil ordinaire de première catégorie. N°58 : Immeuble insipide, mais de belle facture. N°69 : Ici un auteur du Chat noir a perdu son pucelage. N° inconnu : Dans un immeuble de cette rue, Isidore Malebranche a créé le « Flatulix », système ingénieux permettant de récupérer les gaz digestifs et de les réutiliser pour l’éclairage domestique. « Grâce aux fayots j’ai la lumière qu’il me faut » fut le slogan publicitaire efficace du Flatulix. N°70 : Marcel Mignon, obsédé sexuel fiché à la Préfecture, a été arrêté ici alors qu’il tentait d’impressionner sa concierge. Déguisé en écureuil, il lui proposait avec insistance de lui montrer ses noisettes. N°80 : Ici a résidé en 1902, M. Jicquel, sacr�� beau gosse et surtout pas la moitié d’un imbécile. N°88 : Roselyne Fromageot est née ici. Nos lecteurs les plus anciens n’auront pas oublié cette inoubliable interprète de fameux succès : « Serre-moi fort mon René » ; « Y’a du monde au feu rouge » et surtout « V’lan dans l’œil », une dernière chanson qui reçut le prix Frédéric Chopin en 1936. N°111 : Emplacement de l’entreprise des Lithinés du docteur Gustin (pharmacien de 1er classe). Un peu de poudre dans l’eau du robinet et hop, vous disposiez d’une eau minérale légèrement gazeuse et délicieuse ! Mélangée avec du vin, une merveille, « boisson idéale, indispensable aux bien portants comme aux malades souffrant d’une affection légère ou grave des REINS, VESSIE, FOIE, ESTOMAC, INTESTINS. » N°127 : Anatole Lefouillard est mort ici au dernier étage. Entre autres emplois prestigieux, il fut le facteur de Landru quand ce dernier résidait rue Rochechouart et plus tard il fut aussi le livreur remarqué des biberons du bébé Cadum. N°130 : Là, le 25 octobre 1959, il ne s’est absolument rien passé.

Rodolphe Trouilleux

Petite correspondance supplémentaire  

Josiane X. : non, je suis marié et d’une fidélité de titane. Vos petits cadeaux n’y pourront rien. Jean-René N. : fallait pas jouer les provocateurs et piquer les clés du camion en loucedé. Priscilla O. : 5 heures au Lux bar, comme d’habitude. Vous êtes une petite diablesse.

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