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Pas de Danse


Ce jeudi- là, j’étais terrorisé. Un ami m’avait invité à une soirée dansante. Je ne sais pas danser, enfin, c’est ce que je croyais…

Je m’y étais pourtant engagé. C’était déjà mon deuxième refus, j’avais épuisé tous mes alibis en béton armé, lui dire non une troisième fois aurait été très mal perçu.Et à cet ami j’y tenais, l’un des rares avec qui je m’entendais encore dans de longs silences partagés. Bref, je ne pouvais y échapper.


Pourtant, danser était de loin mon pire cauchemar, et j’avais des années durant usé de techniques très abouties qui consistaient principalement à m’asseoir. Je commentais alors les performances endiablées de celles et ceux qui bravaient le danger, faisais fi des regards, et attendais stratégiquement que la musique retombe pour ensuite prétendre ne pas aimer ce style ou simuler un problème de cheville. Technique parfaite vous en conviendrez, mais pourtant ce soir-là, je n’en étais plus sûr. Car mon ami m’avait prévenu : cette soirée était destinée aux personnes qui voulaient danser. Elle avait même lieu dans un endroit conçu pour une boîte.



En m’habillant, je râlais sur l’idiot qui avait eu l’idée de mettre en boîte ces gens trop heureux de montrer leur talent sur une piste, ces gens que la pudeur ne gêne pas et qui dansent beaucoup trop bien car beaucoup mieux que moi ! C’est usant ces gens qui sont si bien et qui font tout pour qu’on le voie ! Acceptant l’inévitable, je me résignais donc au ridicule mais décidai tout de même de le faire avec classe. Certes, mes chaussures me serraient, oui ma veste me boudinait mais au moins le style y était. Et surtout, je commençais à sentir une ampoule qui servirait parfaitement ma lâcheté. Soulagé, j’allais pouvoir contenter un ami sans le vexer et me sortir de cette situation que je ne souhaitais à aucun ennemi.


J’arrivai en retard, prétextant déjà un problème de chaussure et qui amorçait intelligemment cette ampoule qui commençait à être réellement douloureuse. Mais cette douleur à laquelle je pensais devoir m’accrocher désespérément, disparut en un instant. Sur la piste, une silhouette semblait bouger sans trop se préoccuper de la musique assourdissante qui remplissait l’espace imbibé d’humidité corporelle. La sueur de celles et ceux qui se tortillent dans l’espoir d’être captée par d’autres, une parade adoptée brutalement, sans concertation, certainement celle qui ne convenait pas aux autres animaux, et qui était donc devenue la nôtre.

Pourtant, cette silhouette semblait ne pas connaître les codes. Elle s’agitait sans prendre en compte le rythme, s’amusant même à jouer autour sans jamais tomber dedans vraiment. C’est comme si elle assumait pleinement d’éviter la musique. Elle traversait la salle d’un bout à l’autre, esquivant les gens qui s’acharnaient à garder le tempo. Avec un savant ballet de pied elle arrivait à hauteur d’une table pour saisir un ou plusieurs verres puis s’enfuyait vers le bar.


J’étais debout au milieu de la salle et j’avais totalement oublié mon ampoule, sous le choc de cette parade que je paraissais être le seul à comprendre, perdu dans la foule. J’avais trouvé celle qui m’avait fait perdre ma trouille…


J’avançai donc d’un pas rythmé, mais pas celui de cette musique endiablée, pour lui faire comprendre qui j’étais et quelles notes guidaient ma pensée. J’évitai les gens qui paradaient sans trop savoir comment, et arrivai enfin à sa portée. D’un jeu de jambe elle était maintenant tournée vers moi : « Je peux vous aider ? » « Absolument, voulez-vous danser avec moi ? » « Pas pendant le service Monsieur, la patronne n’aimerait pas » « Dans ce cas j’attendrai. »


Et je suis resté assis là, à la regarder danser et à m’imaginer rythmer ses pas.

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