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Edito N34

Edito Numéro 34 – Juin 2021

Le rose c’est un truc de bonhomme.

C’était un jeudi, vers midi. Le soleil tapait et toutes les terrasses du monde appelaient à venir s’y tanner le cuir. La chaleur écrasait tout et tout le monde. Les gens étaient mous et comptaient les secondes. Longue cette journée qui semblait figée, même les cailloux cherchaient de l’ombre.

Bref, je n’avais plus un slip à me mettre tant chaque bout de tissu qui touchait ma peau se transformait dans la minute en saint suaire qui ne sècherait plus jamais. Et l’heure arrivait pourtant. Je devais me rendre à un rendez-vous. Le premier, donc le plus important. Mon unique bonne première impression était donc sérieusement compromise. Et il ne me restait plus que cette chemise. Rose. Le pire c’est qu’elle était moche et mal taillée, ne s’était pas adaptée à ma prise de masse non désirée. Elle avait de petits motifs brodés en blanc sur le col, ce qui me donnerait certainement un air aristo qui ne collait pas avec ma tête de pas beau. Personne n’y croirait.

Mais d’où venait-elle cette chemise ? Ah ! J’y suis. Une soirée entre mecs. Le genre où on se la colle sévère, enchaînant les verres et finissant par terre… Soudain je me souviens de vérifier son derrière. Un peu trop plein, un ami s’était vidé sur moi alors que j’avais le dos tourné. Un truc de mec. Je suis certain que dans certaines tribus c’est même un rituel pour signifier l’amitié éternelle entre deux hommes. Heureusement plus de traces. Le temps passe, je n’avais plus le loisir de m’imaginer annuler ce rendez-vous et j’avais pendant trop longtemps déjà couru après.

J’enfilai donc cette chemise et dévalait les escaliers de mon immeuble pour tomber sur la gardienne que j’avais pourtant réussi à esquiver la première moitié du mois. Ses sourcils froncés avaient pour but de me rappeler le loyer et demi d’impayé. Mais, étrangement, son visage s’adoucit et elle regarda longuement mes habits. Ses yeux ayant fait un aller retour vertical, elle prit le temps de me remettre délicatement le col en place de ses paluches humides par la sueur ou l’eau du seau. Elle sourit et je profitai de son silence pour fuir et sortir enfin dans la rue.

La chaleur avait déjà fait son effet, je sentais ce drap mouillé me parcourir le torse quand la fleuriste au coin de la rue m’arrêta. Elle me tendit une rose puis recula d’un pas pour me regarder dans mon ensemble. Elle comparait les roses. Satisfaite, elle me jeta un bouquet et me poussa plus loin pour me forcer à reprendre mon élan. Je galopai de nouveau, brassant le vent, écartant les bras pour éviter d’arriver en nage. Je m’imaginais mon rendez-vous déjà en place, fraîchement ventilé par une brise que je peinais à trouver.

Quand soudain, ça y est, j’y suis. Je m’essuie rapidement le front, le reste est de toute façon perdu aux torrents que je déverse. La personne est bien là, attendant, fixant le boulevard qui file devant le bar. Voulant m’éponger le front une dernière fois du revers de la main, je réalise que j’ai encore cette rose fixée à ma main. Là, une fille. Je lui jette la rose et saute sur cette chaise qui n’attendait que moi. Essoufflé, je salue mon rendez-vous qui ne m’est désormais plus étranger quand je réalise que sa chemise est bleue…

Quel manque de classe de me réserver un sort aussi banal ! Le bleu c’est démodé et foutrement genré. Et voilà que je me fais gifler par ma rose puis par une main qui devait appartenir à un géant avant d’être celle d’un monsieur mécontent. Je venais de jeter une fleur à celle qui ne devait pas être sa sœur. Le rouge se mit à couler sur ma chemise déjà imbibée et le monsieur était toujours en train de brailler. La fille, elle, avait l’air plutôt embêtée. Mon rendez-vous, lui, ne voulait plus me parler. Cette chemise était foutue et de cette journée n’en parlons plus.

Romain Nouat.

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