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Journal d'une Ménagère


La vie, la vraie !

Lecteur assidu, voici la suite des péripéties d’un activiste de la comm’ à la petite semaine, j’ai nommé : Gontran de Marquette. Arriva ce qui devait arriver, Jérôme Larriviste prit le pas sur son associé et l’évinça de la direction. Lourdé comme un malpropre de l’Agence JL (maintenant sans Associés), Gontran, en homme doté de mille ressources, rebondit comme un lamantin sur une motte de beurre. Le chançard décrocha une place de consultant auprès d’une entreprise qui démarre spécialisée dans le pouvoir de l’achat.

Son premier contrat consista à conseiller un de ces mastodontes de la grande distribution dont les profits fondaient comme flocon au sauna. Les causes étaient multiples mais pouvaient se résumer à deux facteurs : la concurrence du e-commerce et la hausse des prix. Il faut bien dire qu’à cette époque, nous pataugions en pleine crise économico-géo stratégico-covido-climatique. Résultat des courses : maigrichonnes ! Le porte-monnaie de Madame Michu était vide le cinq du mois et hypermarchés, galeries marchandes tout comme commerces du centre-ville vivaient leurs derniers jours. Mission de l’impétrant : redresser la barre dare-dare en faisant revenir Michu et ses copines dans leur grande surface préférée chaque samedi. Objectif de la firme : remplir le caddie de la ménagère et renouer avec des profits mirobolants.


Le Comex de l’enseigne nordiste l’attendait de pied ferme. Prêt à relever le défi, Gontran exposa son plan d’action. Il avait fière allure notre héros de l'esbroufe, dans son costume Hayao Tempura savamment déstructuré en vigogne peignée, face à l’indéboulonnable patriarche du Groupe, Monsieur De Pacemaker. Un vrai talent qu’il avait le gugusse à jouer les hommes providentiels alors qu’il avait ressorti des archives une ancienne campagne de pub aujourd’hui oubliée. C’est bien connu, dans ce milieu, on ne jette rien, tout se recycle, on fait de l’écologie sans le savoir. Avec aplomb, il présenta ripoliné l’ancien slogan comme un nouveau sésame : La vie, la vraie ! Ça claquait au vent comme du Rimbaud ! Retour aux nourritures terrestres, à la vraie vie ! Pour cela, lui le magicien du consulting, préconisa de réenchanter le réel, de poétiser l’acte d’achat. De Pacemaker, enthousiaste, emporté dans un élan approbateur, fut à deux pas d’y laisser son palpitant... Une fois l’agitation retombée, il redevint le terrible manager craint par tous et ordonna la réalisation du plan La vie, la vraie sur-le-champ.


Quinze jours plus tard, Mme Michu reçut dans sa boîte aux lettres à Issy-les-Moulineaux, une invitation assortie de bons d’achats l’enjoignant à assister à la réouverture de son hypermarché de proximité (le pubard n’en était pas à son premier oxymore). Le jour J, Muriel Michu, arrimée à son caddie, se tenait prête à plonger dans ce nouveau monde onirique dédié à la consommation. Sous les traits de la muse Érato, la demi-finaliste d’un télé-crochet reconvertie dans l’animation de salons et foires, déclara le début des festivités.


Au fur et à mesure qu’elle arpentait les allées du magasin, Muriel s’émerveillait aux slogans poétiques énoncés par les voix tantôt suaves tantôt lyriques. Corps et âme évoluaient sous l’emprise de la réalité augmentée. C’était cela la vraie vie que promettait le prospectus. Les parfums, les couleurs et les sons se répondaient... À chaque tête de gondole, ici un alexandrin d’Hugo pour vanter les mérites du thon en miettes, là une rime d’Apollinaire pour louer l’ivresse procurée par les vins du Rhin. L’association poésie-consommation marchait à plein, les ménagères, comme envoûtées, remplissaient leurs caddies avec un contentement extatique. Attiré par le chant mélodieux des sirènes, le chaland ne résistait pas à marquer l’arrêt au rayon René Charcuterie pour y remplir son panier de saucisses de Nerval, de rillettes AOP Bison Ravi, de merguez Omar khayyam, de Queneau à la sauce Nantua ou de terrines Jaccottet...


Au département Produit d’entretien, Génies et autre Monsieur Propre avaient fait affaire avec les Djinns. Booz endormi vous promettait un nettoyage du foyer sans effort. La pasta se déclinait en rigatoni Leopardi et en fusilli Pasolini. Au rayon Parnassien, deux pots de pâtes à tartiner saveur chocolat noisettes Leconte de Lisle pour le prix d’un, à celui des Surréalistes, tout le monde se levait pour le clafoutis de Mamie Elsa Aragon, etc.

Après une journée enchanteresse, arrivée à son logis, sis au 30 rue Corentin Celton, Dame Michu, harassée mais heureuse, déballa son cabas. Elle convoqua Prévert, vérifia sa liste d’achats pour voir si elle n’avait rien oublié et rangea vivres et marchandises en énonçant à haute voix :


Comme je descendais des Fleuves impassibles,

2 conserves de thon Germon Petit Bateau.


Le rivage est plus sûr, mais j’aime me battre avec les flots.

Une Boîte de 10 panés de cabillaud, qualité 100 % poisson de la mer, filet à la chair fine et au goût délicat.


Là, tout n’est qu’ordre et beauté, Luxe, calme et volupté.

6 ramequins de mousse au chocolat noir intense à l’ancienne.


Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,

Un pack de 24 maxi rouleaux papier toilette double épaisseur ultra doux AOP.


Tout est affaire de décor, Changer de lit changer de corps

Une crème de nuit régénérante revitalisante multi-active.


Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal,

18 poulets fermiers Label Rouge élevés en plein air d’autoroute.


La terre est bleue comme une orange

Un ballot de capsules de café équitable pur Arabica respectueux de l'environnement, des petits producteurs et des quartels.


Les sanglots longs des violons de l’automne blessent mon cœur d’une langueur monotone.

Une boîte de croquettes pour chat stérilisé et castré, à base de saumon, pour des voies urinaires saines, une bonne forme physique, renforçant les défenses naturelles.


Je suis passée sur terre d’un pas de danse ! --- Fille du ciel !

Un paquet d’endives bio spéciales salade.


Heureux qui comme Ulysse, A fait un beau voyage

Un saucisson sec de l’Ardèche IGP élaboré à partir de porc origine France (Limousin).


Tu mets des fenêtres à mon cœur.

Un cœur de rumsteak façon tournedos, viande garantie 80 % roumaine, 20 % bulgare.


En rentrant dans le micro-ondes la barquette de sauté de dinde tandoori concocté par un chef étoilé rétrogradé, Muriel Michu se remémora cet apophtegme de René Char inscrit en écriture flashy sur un sachet de marshmallows :

Comment vivre sans inconnu devant soi ?

L’essentiel est sans cesse menacé par l’insignifiant.


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