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La Légende d’Osiris Confutatis



Aristide Brindille, un antiquaire des Abbesses, fit une folle découverte un beau matin d’été. En explorant le grenier d’un voisin, il découvrit une vieille feuille de papyrus qui dormait depuis des siècles à l’intérieur d’une malle en bois. Aristide sentit son cœur battre à se rompre. Il avait entre les mains la légende d’Osiris Confutatis, un pharaon qui vécut pendant l’Antiquité parisienne et qui inaugura la première rue au monde. Dans un moment de joie, Aristide balaya la poussière qui recouvrait le papyrus et voici ce qu’il découvrit.

***

Vers -5463 av. J.C, Paris était une ville où la Seine zigzaguait calmement au milieu de vastes prairies. Les oiseaux chantaient dans les arbres et l’odeur des rhododendrons parfumait le vent paisible qui jouait sur les plaines. À Paris, la vie était si agréable que le grand Pharaon Osiris Confutatis – accompagné de sa femme Anoukis et de ses trois fils Khéops, Ramsès et Enzo -, venait y passer quelques mois de l’année. Osiris avait fait construire une immense pyramide sur une colline du nord de la ville en guise de résidence secondaire. La cime de l’édifice montait si haut dans le ciel qu’une kyrielle d’oiseaux s’écrasaient quotidiennement le bec dessus. À l’intérieur de la pyramide, des couloirs sans fin et des labyrinthes tortueux s’entremêlaient dans un joyeux désordre. L’immensité des lieux était telle que lorsqu’Osiris appelait ses enfants pour passer à table, les pauvres bambins mettaient plus d’une semaine à trouver la cuisine. Un matin, alors qu’il était sorti se dégourdir les jambes, Osiris vit qu’une autre pyramide avait été construite juste en face de la sienne. « Par Anubis ! s’écria t-il tout furieux. Qui a osé faire une chose pareille ? ». Avec un tel vis-à-vis, la pyramide d’Osiris valait désormais moins qu’une pyramide de banlieue. Fou de rage, il alla frapper à la porte du nouveau voisin avec l’intention manifeste d’exposer ses entrailles au soleil. Au moment où la porte s’ouvrit, Osiris s’exclama : « Toi ici, par Isis ! Quelle bonne surprise ! ». Devant lui, un pharaon grassouillet se tenait là, un petit bout de tissu enroulé autour de la taille. Ce n’était autre que Ménès, un ami avec qui il avait partagé une chambre universitaire pendant ses études de philosophie à Alexandrie. Ensemble, ils avaient commencé à rédiger une thèse sur les Idées platoniciennes. Mais les deux étudiants abandonnèrent leurs recherches quand ils s’aperçurent, après dix années de travail, que Platon n’était pas encore né.

Outre le bonheur de ces retrouvailles inattendues, Osiris remarqua qu’une petite allée s’était formée entre sa pyramide et celle de Ménès. Là, il eut une vision ! Dès le lendemain, il fit venir des foules entières d’ouvriers et entama un chantier titanesque. Des dizaines et des dizaines de pyramides furent érigées dans le prolongement de la petite allée. Devant chacune d’elles, il fit installer une clôture, une boîte aux lettres, des palmiers et quelques nains de jardin. Pour parachever son œuvre, il baptisa cette longue allée flanquée de pyramides « Rue des Pyramides ». Ainsi, et seulement ainsi, la première rue de l’histoire naquit. La Rue des Pyramides traversait Paris du nord au sud. Bientôt, des commerces de bouche et des boutiques en tout genre proliférèrent un peu partout. La rue devint si chic et si prisée que les pharaons du monde entier s’y bousculaient. Des restaurants étoilés ouvrirent leurs portes et les meilleurs médecins de l’époque y installèrent leurs cabinets. Cléopâtre y faisait régulièrement son shopping et Toutankhamon y passait tous ses étés à la terrasse des cafés. Avec les années, des dizaines de rues du même type se multiplièrent. Par manque d’imagination, elles furent toutes baptisées « Rue des Pyramides », ce qui provoqua une vague de dépression sans précédent chez les livreurs de pizzas. On dénombrait pas moins de cent-six Rues des Pyramides ainsi que trente-sept Boulevards des Pyramides et cinquante-et-une Avenues des Pyramides ; sans compter la très touristique Avenue des Champs-Pyramides et son célèbre arc de triomphe pyramidal. Souvent, Osiris observait son royaume. Du sommet de son trône, il contemplait ces grandes rues pleines d’agitation. Il y voyait de jeunes pharaons se rendre à l’école ; il y voyait des marchands de tissu défiler à dos de dromadaires ; il y voyait des amoureux flâner de loin en loin à l’ombre des tilleuls en fleurs ; et il y voyait, à travers sa longue-vue, tout un tas de reines égyptiennes en train de se prélasser sur les bords de Seine en bikini. Coquin d’Osiris. Avec les siècles, puisque le monde va ainsi, les dynasties égyptiennes s’éteignirent et laissèrent place à d’autres royaumes. Les pyramides, laissées à l’abandon, furent remplacées par des constructions moins tape-à-l’œil comme des immeubles haussmanniens et des baraques à frites. Avec le temps, la pyramide d’Osiris fut entièrement recouverte par la terre jusqu’à former une gigantesque butte sur laquelle culmine aujourd’hui le Sacré-cœur. Peu de montmartrois le savent mais, sous leurs pieds, se trouve le tombeau du grand Pharaon Osiris Confutatis. Et lorsque l’été montre le bout de son nez, il n’est pas rare que son fantôme dégaine sa longue-vue et regarde, ancienne habitude, sous les jupes et les robes des belles parisiennes.


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