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Le Boucher Raccourci



Sur la butte Montmartre au nord du vieux Paris, Un homme aigri tenait une humble boucherie. Mais depuis bien longtemps il ne vendait plus rien Car le quartier comptait trop de végétariens. Le pauvre malheureux ne faisait plus recette Et courait chaque jour après deux trois piécettes. Il fit alors le choix de brader son gibier En espérant enfin sortir de ce bourbier. Un matin de janvier, sur les coups de neuf heures, Notre ami le boucher était un peu rêveur. En découpant trop vite une carcasse d’oie, Il fit un mauvais geste et se trancha un doigt. Le petit bout de doigt alla se nicher dans Le bac de viande hachée. Quel horrible accident ! Quand soudain un client venu de nulle part, De steaks hachés bien frais commanda plusieurs parts. Reprenant ses esprits et pris au dépourvu, Il servit le client en se disant : « Pourvu Qu’il ne constate pas que dans sa nourriture Se trouve un bout de doigt réduit en confiture. » Le lendemain matin, tel du ciel un cadeau, La moitié du quartier voulait des tournedos. Le boucher en conclut que le doigt qu’il perdit À sa viande donna un goût de paradis. Alors de sa main gauche il saucissonna tout Et il en répartit des bouts un peu partout. Dans la charcuterie et dans la viande hachée, Il dispersa des bouts de sa main arrachée. Et le miracle fut ! Comme un coup de tonnerre, Les gens se bousculaient alors qu’à l’ordinaire On entendait les rats et même les moustiques Voler à l’intérieur de sa sombre boutique. Alors que son succès ne cessait de grandir Il était devenu fréquent d’entendre dire : « Quel faux-filet exquis ! Mais quel est votre don ? D’ailleurs remettez-moi deux kilos de lardons ! » Sa viande était si tendre et d’un goût sans pareil Depuis qu’il y mettait des bouts de ses oreilles, Et son jambon donnait du bonheur ici-bas Dès qu’il l’assaisonnait au jus de ses abats. Mais le pauvre boucher n’eut bientôt plus de bras, De jambes et puis d’orteils car tout il démembra. De son corps il n’avait plus grand-chose à émettre, Il ne mesurait plus que quelques centimètres. À force de vouloir un peu plus de pognon, Le pauvre se changea en horrible moignon. Voilà ce qui arrive aux gens un peu trop sots Qui, pour un peu d’argent, se coupent en morceaux. Et le boucher mourut lorsqu’un jour il comprit Que son succès était dû à ses petits prix. Les clients ne venaient pas vraiment pour sa chair Mais parce qu’il était, du quartier, le moins cher.


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