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Marche Nuptiale – Note du compositeur

Par Hans Von Bulot - Propos recueillis par Frédéric Colazzina le 22 Mars 2022 Duo composé pour la cérémonie de mariage d’un Lézard (Maître Mollard, avocat commis d’office pour reptiles délinquants) et d’une tortue (Lady Carafon, multirécidiviste) Compositeur : Hans von Bulot, organiste titulaire de l’église Sainte-Marie des pauvres pécheurs à la mouche et président de l’association des barytons muets de France.

Note du compositeur:


Je livre ici mon chef-d’œuvre. Cette composition m’aura demandé plus de vingt années de labeur ininterrompu. J’ai vécu, sous le commandement de ma muse, à demi-incliné sur ma table de travail sans jamais cesser d’écrire. J’ai composé tout le temps, chaque heure, chaque jour, chaque nuit. J’étais si absorbé par mon travail que j’en ai même oublié l’existence de mon fils. Le malheureux a passé vingt ans ferme dans la petite section de son école maternelle à attendre que je vienne le chercher. À vingt-trois ans aujourd’hui, il maîtrise la peinture sur assiette en carton comme personne et ses assemblages de pots de yaourts font l’admiration de bien des sculpteurs. Par contre, il ne connaît toujours pas son alphabet. Pour ne pas devenir fou, je me suis mis à parler à mes crayons ; cela me permettait de garder une sorte de lien social par la parole. Bien sûr, je parlais seul. Mais avec les ans, mon critérium s’est mis à me répondre. Helmut, qu’il s’appelait. S’il parlait peu les premiers temps, la loquacité d’Helmut s’est rapidement accrue. Il me parlait souvent de son divorce. Lorsqu’il abordait le sujet, on sentait bien qu’il en avait encore le cœur tout de travers. Il me répétait souvent : « Mais pourquoi est-ce que Clara (Clara était sa femme, une gomme premier prix qu’il avait rencontrée dans une papeterie du 18e arrondissement) m’a quitté pour ce fourbe de Robert (Robert, lui, était son meilleur ami, un stylo quatre couleurs assez banal mais plutôt séducteur sur les bords) ? Qu’a-t-il de plus que moi ? Il n’a même pas son bac. En plus, il bave quand il écrit. » Pauvre Helmut. Heureusement, à chaque fois que le soir descendait sur mon bureau, nous chantions gaiement du Brassens en buvant des litres et des litres de vin. Parfois, quand je lui

changeais sa mine, Helmut allait même jusqu’à entonner du Puccini. C’était vraiment agréable de l’écouter, surtout lorsqu’il faisait vibrer son petit accent yiddish. Un vrai phénomène, ce Helmut, sans lui, je n’aurais probablement jamais pu conserver une si bonne santé mentale. Composer dans la solitude de mon bureau pendant deux décennies m’a beaucoup changé ; physiquement veux-je dire. Ma barbe et mes cheveux étaient devenus si longs que je les utilisais comme sac de couchage. Quant à mes ongles, je m’en servais de chausse-pied. Il n’y avait pas à dire, je rebutais l’œil. Pour remédier à cela, je fis appel à Herbert, mon coiffeur. En me voyant entrer dans son salon de coiffure, Herbert poussa un cri qui fissura la voie lactée. Selon toute probabilité, je l’avais effrayé. Dans le calme, je lui certifiai que ce n’était que moi, Hans, et l’invitai à reprendre ses esprits. Très vite, il eut accès à la raison et posa par terre les deux sèche-cheveux qu’il braquait sur moi. Sans mot dire, il se dirigea vers son téléphone et décrocha le combiné. Quelques minutes plus tard, tous les coiffeurs de la ville étaient là, équipés de ciseaux, de peignes, de râteaux, de taille haies, de débroussailleuses, de tondeuses à gazon et d’herbicides. Debout sur leurs escabeaux, tous ces messieurs me rafraîchirent les contours d’oreilles dans une joie que je qualifierais de communicative. Après deux longues semaines de travail, je félicitai Herbert, lui dédiai un regard reconnaissant, et lui remboursai la location de la moissonneuse-batteuse qu’il avait utilisée pour me tailler la moustache.


***


À présent, venons-en à mon œuvre. Comme le recommande le célèbre Kapellmeister Philibert Camembert dans son traité « Symboliques des tonalités majeures et mineures », j’ai composé cette marche nuptiale en si majeur : « Qui voudra composer une marche nuptiale, préconise t-il, devra expressément utiliser le ton de si majeur. Seule cette tonalité, ronde et suave, convient aux évocations de l’amour. Les tons mineurs, eux, sont totalement à proscrire, ils ne servent qu’à exprimer la douleur, la peine, le drame, la mort ou encore la tragédie existentielle face à la flambée des prix du pétrole. Wagner disait : « Le choix des tonalités est ce qu’il y a de plus important en musique. J’ai mis plus de trente ans à choisir la tonalité principale de ma « Walkyrie » alors que j’ai épousé ma femme sur un coup de tête. Il y a des choix avec lesquels on ne badine pas ! » Méditons ces belles paroles.  La mesure de cette marche nuptiale est à 2/4 et le tempo plutôt lent. Pour vous donner une idée de la pulsation, pensez à un adagio italien ou, dans un autre genre, à « Colchique dans les prés ». Cette œuvre peut s’interpréter indifféremment sur tous les instruments. Le musicien avisé évitera cependant l’usage de la cornemuse dont la sonorité, dès qu’elle retentit quelque part, provoque inévitablement émeutes, krachs boursiers et famines.

Lorsque vous interpréterez ce duo, il est possible que vous soyez submergé par un torrent d’émotions. La première fois que je l’ai moi-même joué, j’en fus ému jusqu’au malaise vagal. J’ai vraiment, mais vraiment, enfoui toute mon âme à l’intérieur de ces pages – si d’ailleurs quelqu’un la retrouve, il sera bien aimable de me la rendre. Il ne me reste plus qu’à vous souhaiter bonne musique. Jouez avec cœur, appuyez vos arpèges, faites chanter vos gammes, ne pressez jamais le tempo et, surtout, épargnez de l’argent. Même si elle insuffle à l’humanité une beauté que rien ne saurait enlaidir, la musique ne nourrit pas toujours son homme.


Hans von Bulot Propos recueillis par Frédéric Colazzina