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Poésie Business - Si les poètes étaient startupers


Les poètes ont toujours été d’un tempérament mélancolique. Souvent à l’écart, ils passent le plus clair de leur temps assis au fond d’un vieux bistrot à muser sur les douleurs du monde. Et quand ils ne méditent pas, ils vagabondent solitaires un livre à la main, le visage éclairé par les lumières confuses de la ville. Les poètes errent dans les rues comme ils errent dans l’existence. Voilà à peu près toute leur vie.

Mais la réalité est parfois toute autre. Pour preuve, nous publions ici des lettres inédites de Verlaine et Rimbaud. Vous vous ferez, à la lumière de cette lecture, une idée plus juste de ce que sont réellement les poètes.


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« Mon cher Rimbaud,

Les nouvelles ne sont pas bonnes. C’est la crise. La concurrence explose. Ce matin, Lamartine est passé me voir, il est au fond du trou. Pour être franc, la détresse qui émanait de cet homme a pénétré toute mon âme. Si seulement tu l’avais vu. Il vient à l’instant de vendre toutes les parts de sa boîte à Baudelaire&Co. Il n’a désormais plus aucun droit sur ses poèmes. Quelle tristesse. Ces satanés symbolistes sont en train d’envahir tout le marché. Je viens d’avoir Victor Hugo en call, sa start-up est aussi au point mort, ses ventes sont à l’arrêt. Bref, il va falloir être réactif. Amitiés. »


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« Mon cher Verlaine,

Je suis en ce moment en Auvergne. J’ai passé ma semaine à vendre des sonnets en BtoB, je suis exténué. Personne n’en veut. Les consommateurs réclament des vers libres. Quel manque de goût. J’ai même démarché des grandes surfaces, je ne me ferme plus aucune option. Il faut voir les choses en face, nos produits n'ont plus le vent en poupe. Robert Desnos vient de sortir une collection de poèmes sans rime, les jeunes se les arrachent. Résultat, il cumule quatre-cent mille followers. Si nous ne renouvelons pas notre catalogue printemps-été de poésies, on court à la faillite. Je vais de ce pas me glisser sur un rooftop et siroter un Spritz, j’en ai rudement besoin. On se voit toujours mercredi prochain au salon de la diérèse ? Bien à toi. »


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« Mon cher Rimbaud,

Je me suis entretenu avec deux jeunes stagiaires ce midi, un certain Éluard et un certain Apollinaire. Quel panache ! Ils sont vifs, brillants et ruissellent d’inventions. À quelques détails près, ces deux garçons ont le même parcours, taillés sur le même patron ! L’un a travaillé pendant deux ans pour « Ronsard & Associés », nos concurrents directs, et l’autre sort d’une excellente école de commerce, « Le Parnasse ». Je te joins leur C.V. Tu verras, ils connaissent à fond les formes poétiques et maîtrisent le marketing digital comme des dieux. Ces types te pondent des virelais et des business plan à la seconde. Du sang neuf, voilà ce qu’il nous fallait ! Je les ai naturellement intégrés à l’équipe. Dans un premier temps, nous les paierons en absinthe. À très vite, mon ami. »


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« Mon cher Verlaine,

J’apprends à l’instant que le cours de l’alexandrin est en chute libre. La poésie moderne nous rattrape. À ce rythme, nous allons devoir écrire des heptasyllabes, peut-être même de la prose… ! Nous sommes réduits à bien peu de choses. J’ai entendu dire que Marceline Desbordes Valmore s’est mise à vendre des cadavres exquis. Même les poétesses ne se respectent plus. Bref, si l’on veut sortir la tête de l’eau, nous allons devoir solder nos produits. Pas le choix. J’ai écrit cette nuit un recueil de haïkus, il serait peut-être judicieux de les mettre en Pré-vendre sur notre site internet. Que Dieu nous vienne en aide. »


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« Mon cher Rimbaud,

Un brainstorming est prévu avec tout le staff lundi prochain. Ta présence est souhaitable. Au programme : Doit-on investir dans la crypto-poésie ? Question épineuse. Si l’on veut s’en sortir, nous devons élargir nos champs de compétences, l’avenir est dans la poésie virtuelle, tout le monde le sait. Au fait, comment se passe ton séjour à Marseille ? Tu as beau temps ? Réponds-moi vite. Mille bises. »


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« Mon cher Verlaine,

J´espère ne pas être trop brutal ; j’arrête la poésie. Ne m’en veux pas mais j’ai postulé pour un job de community manager dans une boite d’import-export d’armes à feu à Marseille. Je t’entends d’ici ronchonner dans ta barbe, mais la poésie ne rapporte plus, il faut se faire à l’idée. Et puis, les soucis financiers ont miné ma santé, je suis à deux doigts du burn-out. Rends-moi donc visite, Marseille est une ville enthousiasmante ! J’ai rencontré Marcel Pagnol, tu pourrais t’associer avec lui, il cherche un digital manager pour gérer sa start-up de théâtre. Je sais, c’est pas trop ta came, mais bon, comme nous l’a souvent répété Aragon en stage de formation : Business is business. »



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