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Dictionnaire Foutraque des rues de Paris - Rue des Courant d’air

Position géographique non fournie.


Cette rue est située quelque part à Montmartre, non loin des fortifications. Elle est très bien fréquentée bien que trop pentue. Des femmes sérieuses, des bonnes d’enfants, des militaires en retraite et des fonctionnaires l’arpentent souvent, le nez en l’air, en proie à leur imagination fertile. Point de comportement délictueux rue des Courants d’air, rien que de la bonhomie, de l’urbanité et de la politesse. En un mot les personnes tant soit peu normales s’y emmerdent fermement. Disons franchement que les coups de chapeau, les « madame, après vous », les « je vous en prie » et les « je n’en ferai rien » sont terriblement ennuyeux. D’autres voies, pratiquées par des populations plus bigarrées, sont heureusement nombreuses à Paris : les crottes de chien, les papiers gras, les clins d’œil appuyés et les mains baladeuses y sont légion et apportent un relent d’humanité là où ne pourrait loger que courtoisie et morne indifférence. Je ne sais pas trop comment vous écrire cela mais pourtant, j’aime la rue des Courants d’air, je m’y sens véritablement chez moi, dans mon élément. Suis-je la personnification de l’emmerdement majeur ? C’est possible, d’autant plus que mademoiselle X, avant de m’avoir quitté récemment avec fracas, m’avait traité d’amant soupe au lait, de petite… (là j’omets ce dernier mot, car faussement calomnieux), de bon à rien, et de casse-pied « bon qu’à gober les mouches à m. » Cette femme était en colère et je pardonne ces propos outranciers. Mais revenons plutôt à notre rue, propre, bien alignée, souvent ensoleillée car bien exposée, une voie à recommander malgré son absence étrange des guides touristiques. Arpentons-là de concert, voulez-vous ?

Cette rue ne comportant qu’un côté, est dénuée de numérotation paire. La rive opposée, orpheline de toute construction, offre aux promeneurs et aux résidents chanceux, une vue s’étendant au loin vers les collines verdoyantes. Par beau temps, quelques optimistes prétendent que l’on peut même apercevoir la ligne bleue des Vosges, ce que nous n’avons pu vérifier. Appréciée des poètes, des esthètes et des danseurs mondains, la rue des Courants d’air est bordée de belles demeures, d’hôtels particuliers mais comporte aussi, faute de goût impardonnable, quelques immeubles collectifs. Ne croisant, ni débouchant vers d’autres voies, c’est une rue prédestinée aux destins solitaires, aux clochards célestes, aux cocus maladifs et aux femmes délaissées. Elle est pourtant favorable aux promenades romantiques des amoureux, main dans la main, cœur contre cœur, dont les regards brûlants et l’odeur prenante de transpiration trahissent des pulsions peu avouables.

N°1 : N’existe pas, la masure s’élevant à son emplacement ayant été détruite par décision de justice. C’est en effet ici qu’Anselme Trabart dit « Babar la tendresse » à assassiné nuitamment à coups de marteau sa sienne maîtresse Ginette Terpauve. N’arrêtant pas là ce coupable attentat, Babar, fin cuisinier, invita ses relations les plus louches à déguster la morte, après cuisson vapeur, à la mayonnaise. On raconte que le célèbre Dédé le coupeur et Michel des Abruzzes étaient de la partie. Ce crime a été révélé de la manière la plus simple et la plus tragique. Après ce plantureux repas vaillamment arrosé, les convives avaient jeté tout simplement les ossements de la malheureuse à la poubelle. Le Biffin nénesse ne tarda pas à découvrir ces tragiques reliefs et en avertit aussitôt la police qui procéda sans tarder aux arrestations des assassins gourmands qui furent condamnés à avoir la tête tranchée, sans sauce vinaigrette.

N°3 : Hôtel particulier construit par l’architecte Armand Sibien, en 1895, pour la célèbre chanteuse à succès Adeline Dézétoiles. Grâce à l’amabilité du propriétaire actuel nous avons pu visiter à l’arrière de cette demeure, le petit théâtre que l’artiste avait fait installer en secret. Des fresques érotiques recouvrent les murs de ce petit bâtiment, sorte de bonbonnière coquine qui servait à mademoiselle Dézétoiles de lieu de rendez-vous pour la société huppée. Des accessoires divers et des tenues présentées en vitrine témoignent de l’activité hautement gymnique qui régnait ici. En rigolant, le propriétaire nous a indiqué que « ça partouzait à mort au n°3 » et nous montra ensuite de beaux albums renfermant des souvenirs photographiques de ces folles soirées que la décence nous interdit de reproduire ici. Toutefois, et exceptionnellement, nous avons réservé pour les amateurs de belles vues artistiques, quelques reproductions soignées de ces images non pieuses. Envoi sous pli discret contre 100 euros franco au journal Le Chat Noir.

N°5 : Ici est né, en 1919, Isidore Doutremelle noble fondateur des pastilles Fréchup, utiles à l’enfant comme au vieillard pour avoir une haleine de star. Tout le monde se souvient des magnifiques affiches illustrées portant cette légende « Alors Jojo tu refoules du goulot ? Et hop, Fréchup ! ”

N°7 : Ici réside une concierge des plus désagréables. Nous passerons donc directement au N°9 sans aller en prison.

N°9 : Utile et bouleversante révélation : ici fut inventé le fil à couper le beurre. C’est toute une histoire qu’il nous plaît de vous narrer ici. La vie de Marcel Vébor était triste et sans relief. Élevé par une maman captatrice, maniéré à l’excès, il tardait au jeune homme de trouver l’âme sœur. Il répondait aux petites annonces du Chasseur Français sans conviction et ne rencontra grâce à cela qu’une morphinomane borgne, une magnifique rousse aux yeux de braise (mais Marcel détestait les rousses), une étalagiste cul de jatte et une aviatrice passionnée par les aéroplanes qui n’était donc jamais libre en fin de semaine. Las, Marcel errait tel une âme en peine dans son quartier des Abbesses quand il remarqua une coquette crèmerie, à l’enseigne du « Poussin joli.» Il pénétra dans la boutique, prétextant l’achat d’un morceau de beurre. La crémière, de petite taille, était une fine porcelaine aux yeux d’azur. Sans façon, elle s’ouvrit au jeune homme, lui révélant que trancher une motte était tr��s angoissant pour elle, ayant peur de se blesser avec le grand couteau qu’elle utilisait pour cette tâche. Rentré chez lui, le jeune homme, obsédé par la motte de la demoiselle, réfléchit longuement et, grâce à la boîte à couture de sa maman, fabriqua le fameux fil, transformant radicalement ainsi le quotidien tragique de la jeune crémière. La simple motte d’une jeune fille avait ainsi bouleversé la vie de Marcel Vébor, qui l’épousa. Enrichis par le fil, ils eurent beaucoup d’enfants.

N°11 : C’est ici, dans ce lieu rêvé des muses, que travaille secrètement le grand écrivain Frédéric Collazina. Son bureau boudoir, imprégné d’une ambiance inspiratrice rappelant les années sudistes de cet enfant de la Méditerranée, est en tous points remarquable. Nous avons pu visiter cet antre vénéré du maître, auteur de la fameuse saga Aïoli et Farigoulette, grande fresque provençale aux relents d’huile d’olive et de pastis. M. Collazina, après avoir dédaigné l’attribution d’une Légion d’honneur pourtant amplement méritée, vient aussi de refuser son admission à l’académie française, dont il se sent indigne, n’étant, d’après lui, que l’auteur de volumes de bibliothèques de gare, se comparant à Musso ou pire, à Bernard Henri Lévy, plus doué, d’après lui, pour faire repasser ses liquettes que tenir la plume. Nous n’oublions pas, pourtant, que M. Collazina, sous le pseudonyme plus ou moins transparent de « Coco de l’Estaque », publia les fameux romans « Zezette et Marius vont en ballon, » mais aussi la biographie de Mémé la gâchette, et son fameux essai « Histoire et grandeur de la navette », précieux volume parfumé à la fleur d’oranger. Il travaille en ce moment même à la biographie de Derrick, qui fut, d’après les dires de l’auteur – c’est une exclusivité « Chat noir » – la s��rie la plus longue et la plus emmerdante de l’histoire de la télévision.

N°13 : Ce numéro a été supprimé à la demande du propriétaire, car portant malheur. Le 13 est devenu le 15, le 15 le 17 et ainsi de suite. Cette modification ayant été effectuée tardivement, une grande confusion règne dans l’arrivée du courrier, et le facteur, pourtant brave garçon, à force de s’arracher les cheveux, est devenu chauve.

N°15 : Logement économique attribué aux nécessiteux désignés par le Journal le Chat Noir. Il est salubre, économique, hygiénique et ne nécessite qu’un entretien minimum. L’eau fraîche, disponible à volonté à la fontaine, est savoureuse, bonne pour la soupe et le lavage des membres salis par les tâches laborieuses. Ce terrain bénéficie, de plus, d’une exposition favorisant le séchage du linge et l’assainissement des volumes d’air disponibles. Pour toute attribution s’adresser au journal. La tente et la couverture de survie ne sont pas fournies. Les barbecues sont interdits et les petites amies tolérées, après acceptation de leur dossier et leur réception par le vénéré directeur.

N°17 : Ici, lieu de l’ancienne résidence de l’auteur de ces lignes. Un simple galetas de six pièces, sorte de tournebride où, jeune homme, il conduisait ses conquêtes et les invitait à boire du champagne tout en leur désignant son « king size » à draps de soie. Nombreuses furent les compagnes d’une nuit à repartir au petit matin, comblées et véritablement heureuses de cette expérience exceptionnelle. Un sachet enrubanné contenant un flacon de N°5, un foulard aux chevaux fougueux et un bon-prime pour un repas en tête-à-tête à la Maison Rose leur était alors délivré en remerciement et juste reconnaissance pour ce moment intense, coquin et respectueux des traditions cavalières.

L’espace nous manque pour évoquer toutes les bonnes adresses de la rue des Courants d’air. Nous ferons donc l’impasse (!) sur le garni du cul-de-jatte, le kiosque-boudoir du n°21, l’inventeur de la main-de-sa sœur chauffante. Nous prions notre lectorat d’accepter toutes nos excuses. Les chèques et les espèces mentionnant « pour les vacances de Rodolphe Trouilleux » sont à adresser au Journal Le Chat Noir qui transmettra. Merci à l’avance pour votre soutien.

Rodolphe Trouilleux

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